Arts visuels – Sophie Jodoin @ Battat Contemporary : violente poésie
J’ai découvert le travail de Sophie Jodoin très récemment à la foire Papier 15. De ses compositions dessinées, aux lignes épurées, ambigües, et subtiles, émanaient à la fois une force et un silence qui tranchaient avec l’effervescence du lieu.
Intriguée par le mystère entourant ses fragments d’objets et ses formes floues, je suis partie à la découverte de sa toute dernière exposition, une certaine instabilité émotionnelle, à la galerie Battat Contemporary.
De prime abord, l’instabilité est de nature physique: le blanc et le vide de l’espace sont saisissants et presque angoissants. Les murs sont inhabituellement nus, et il faudra se pencher et zigzaguer entre les trois longues paillasses de laboratoire pour apprécier les créations de l’artiste, feuilles volantes méticuleusement alignées à équidistance. En fond, la rythmique incessante d’un projecteur de diapositives résonne contre les pans de béton. L’ambiance est chirurgicale.
D’abord attirée par les tables, j’entame une première ronde rapide, et identifie ce qui semble être une série de photos d’objets et de lieux, sans vraiment saisir le lien qui les unit, mais en admettant une certaine unité graphique.
Sur ma faim, je pars alors chercher une piste de lecture du côté de la composante sonore. Sur le mur porteur, sont projetées une suite de questions qui évoquent la trame d’un interrogatoire médical. Elles me renvoient à un certain malaise physique et émotionnel, plus ou moins ressenti à différentes périodes de ma vie… « Bras croisés, mâchoires serrées, respiration coupée » sont autant de symptômes habituels qui me font prendre conscience de la difficulté visiblement universelle à habiter pleinement son corps et son esprit dans l’instant présent.
Enrichie de cet élément, j’amorce une seconde lecture des supports papier. De nouveaux détails accrochent mon regard, et je me rends compte qu’il s’agit en réalité de dessins, réalisés avec une minutie extrême, presque névrotique.
Les formes et objets se transforment alors en armes de destruction douce. Se révèlent à moi un pavé assommeur, un bracelet étrangleur, une lame de rasoir aiguisée, une seringue dangereusement pointue, une poudre overdosante, une échographie vide, une tache de sang noir, et même des fantômes en filigrane…
Est-ce mon imagination?
Au fur et à mesure de mon cheminement entre ces pièces à conviction éthérées, je reconstitue une histoire. Mon oreille se tend, mes pupilles se dilatent, et à travers le code morse, les fragments de fusain, et la poussière d’étoiles, je perçois une femme seule, perdue, qui revient de nulle part pour me chuchoter doucement son mal-être.
Par la magie de la création artistique, une ressource émotionnelle insoupçonnée ressurgit en moi, et quelque chose de beau se dessine, comme un poème qui célèbrerait la beauté et la violence du déséquilibre humain.
une certaine instabilité émotionnelle, Sophie Jodoin, du 16 avril au 6 juin 2015, à la galerie Battat Contemporary – Entrée libre.
7245 Rue Alexandra / Jean-Talon
Article: Sonia Reboul
Images: Battat et Fading Paper