Arts visuels – Dans l’intimité de l’atelier de Rodin


Après Merveilles et mirages de l’orientalisme, c’est encore une exposition inédite que nous offre le MBAM avec Métamorphoses. Dans le secret de l’atelier de Rodin. Réalisée en collaboration avec le musée Rodin de Paris, l’exposition réunit plus de 300 œuvres de nature très diverses: des grands classiques, mais aussi des créations expérimentales méconnues, qui nous renseignent pourtant sur l’essence même du travail de ce sculpteur au nom infiniment plus connu que sa démarche artistique.

Mon premier contact avec Rodin remonte à quelques années, lorsque je prenais encore le temps de réaliser de longues séances de dessin anatomique dans les jardins de l’hôtel Biron à Paris. À cette occasion, j’ai pu contempler et étudier en détail ses gigantesques corps d’hommes aux muscles saillants et au style artistique fortement inspiré des statues grecques antiques. Cette appréciation n’était pourtant que superficielle, puisque je n’en connaissais ni l’origine, ni le processus de création.
Avec l’exposition, j’ai justement découvert l’importance du travail de recherche dans l’approche de Rodin. Celui-ci passait des heures à réaliser ces abattis – morceaux de corps: jambes, troncs, pieds, têtes, mains, et bras – qu’il conservait précieusement, pour les ressortir des jours ou des années plus tard au gré de son inspiration. Frankenstein des arts, il réassemblait ces fragments pour faire naitre des créatures et des compositions improbables, comme cette alliance touchante entre un torse féminin (Tête de femme au chignon) et une tête d’homme (Tête de Pierre de Wissant), révélant une nymphe et un géant blotti contre son sein.
Métamorphoses rend également compte de la diversité des matériaux utilisés et de leurs différents rôles dans le processus créatif de l’artiste: que ce soit le plâtre, l’argile, le marbre ou le bronze, chacun possède ses avantages et ses désavantages, et intervient à des moments clés. Chose rare, nous sommes amenés à découvrir quelques petites pépites réalisées en plâtre, longtemps ignorées à cause du manque de noblesse du matériau. Pourtant on y apprend que cette matière est une des plus malléables, et qu’elle permet de réaliser des sculptures à la fois légères et solides, d’une expressivité phénoménale comme Je suis belle, assemblage de L’Homme qui tombe avec La Femme accroupie (ci-dessous).

Je suis belle

L’exposition nous apprend aussi que, comme les grands artistes-plasticiens contemporains, Rodin n’oeuvrait jamais seul. Derrière son nom se cachait une multitude d’intervenants: assistants chevronnés, mouleurs et plâtriers confectionnant les moules pour y couler le bronze, reproducteurs dont le travail était d’agrandir les sculptures par un procédé mathématique et mécanique, fondeurs créant les bronzes, coloristes travaillant leur patine, photographes lui permettant une prise de recul, tailleurs de marbre… Tout comme les matériaux, chacun tenait un rôle bien particulier et indispensable dans son processus créatif.
Après le « comment », Métamorphoses nous entraine sur le « pourquoi », et aborde les différentes sources d’inspiration de l’artiste. On y découvre un Rodin profondément humaniste, davantage inspiré par les corps et les mouvements réels, que par les standards académiques formatés. Bibi le balayeur, Cailloux, Auguste le soldat, Hanako l’actrice japonaise, des acrobates de cirque, des danseuses asiatiques, sont autant de personnages éclectiques et uniques dont Rodin s’applique à saisir les mouvements sur le vif pour les simplifier au maximum et en extraire la quintessence. Cette inspiration vitale est forcément liée à l’érotisme, et livre de fabuleuses oeuvres comme Iris, messagère des dieux, (ci-dessous) qui n’est pas sans rappeler L’origine du monde de Courbet réalisée à la même période, ou cette représentation explosive et censurée de Balzac, ventre bedonnant et sexe tendu à la main.

Masque de Hanako, type E Entre 1907 et 1910

Iris, messagère des dieux, 1840

L’exposition nous fait par là-même prendre conscience de l’avant-gardisme et de la singularité de son approche. En retirant certains membres ou en les recomposant de manière non proportionnelle pour accentuer certaines parties du corps – généralement les mains – Rodin se réapproprie les codes classiques, expérimente et excelle dans un art nouveau et dérangeant pour l’époque. « On m’a souvent reproché de ne pas avoir donné de tête à mon Homme qui marche, mais est-ce que c’est avec la tête qu’on marche? » Si le travail de Rodin est aujourd’hui plébiscité, il a longtemps été incompris par pudeur ou peur du renouveau.

L’Homme qui marche, grand modèle, 1907

Pour notre plus grand plaisir, l’exposition se termine par une ouverture contemporaine et humaniste. Denys Arcand repense Les Bourgeois de Calais et filme Les bourgeois de Vancouver, personnes hétéroclites prises au hasard, à qui il propose de prendre la pose et d’incarner l’oeuvre de bronze originelle. Cerise sur le gâteau, le MBAM accueille aussi en résidence Jimmy Gonzalez, artiste de cirque et danseur, qui nous livre une improvisation magnifique inspirée du travail de Rodin, dont la substance est très justement saisie.

Les bourgeois de Vancouver

À ma grande surprise, c’est finalement plus de deux heures que j’ai passé au MBAM. J’y ai fait la connaissance d’un Rodin aux multiples visages, à la fois chirurgien, expérimentateur, chef d’orchestre, et surtout travailleur chevronné capable de développer un concept sur des années afin d’en retirer son essence ultime. Au-delà du plaisir visuel et presque charnel de (re)découvrir des pièces à la qualité inégalée, Métamorphoses est surtout une exposition intelligente comme il est rare d’en voir aujourd’hui. Instructive et intuitive, elle réussit enfin ce pari si difficile de vulgariser l’art moderne tout en opérant une séduction magique.

 

Métamorphoses. Dans le secret de l’atelier de Rodin.
Musée des Beaux Arts de Montréal
1380 Rue Sherbrooke O.
Jusqu’au 18 octobre

Activité en lien avec l’exposition:

 

 

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Sonia Reboul

Française plus très fraichement débarquée au Canada, amoureuse de culture expérientielle, sensible aux arts visuels, interactifs, et en mouvements (et instagrameuse à mes heures perdues).

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