Expo – Merveilles et mirages de l’orientalisme au MBAM : fantasme occidental

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L’orientalisme de Benjamin Constant – Jusqu’au 31 mai

Le musée des Beaux Arts de Montréal nous offre pour la première fois une exposition d’envergure sur l’Orientalisme. Initiée par Nathalie Bondil, directrice générale, conservatrice en chef du MBAM et Marocaine d’origine, elle est le fruit de travaux de restauration de grande ampleur, de recherches menées sur plusieurs années, et de collaborations inédites avec de nombreux experts et musées, dont le musée des Augustins de Toulouse – ville d’origine de Benjamin Constant, principal contributeur du mouvement.

Comme le révèle son nom, l’Orientalisme, courant artistique et littéraire de la fin du XIXe siècle, regroupe des oeuvres inspirées du monde arabe, dont les mystères suscitent à l’époque une grande fascination dans les milieux mondains occidentaux.

Caractérisées par leurs contrastes accentués, leurs couleurs chaudes, et leur style presque « bling bling », les peintures orientalistes ont pour thèmes de prédilection les odalisques, les guerriers virils et tannés, les harems, ou encore les paysages désertiques brulés par le soleil. Véritables témoignages d’un fantasme occidental masculin, elles donnent à voir une représentation d’un orient opulent et idéalisé, où, comme l’écrit Baudelaire « tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté ».

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L’exposition débute en haut de l’imposant et rutilant escalier principal du musée. Lui faisant écho, une immense toile, Intérieur de harem au Maroc, nous accueille et pose l’ambiance : il s’agira ce soir de noir et d’or, de magnificence et de fantasmes, de virilité et de féminité. Le prolongement des lignes de fuite sur les murs du bâtiment nous entraine doucement à poursuivre notre chemin.

La première salle, dans son atmosphère feutrée, chaude et tamisée, nous fait apprécier l’habileté technique du maitre, à travers des oeuvres présentées dans les salons les plus prestigieux : par un jeu maitrisé d’ombres et de lumières, le portrait de son fils André prend vie et semble suivre du regard notre progression vers la seconde pièce.

Dans cette dernière, la force des modèles orientaux masculins s’impose : la Tête de Maure, superbe portrait d’un caïd marocain, renferme en un seul visage cette opposition entre beauté solaire, et noirceur des actes. Spectaculaire, le tableau incarne cette représentation idéalisée d’une masculinité virile et inébranlable.

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La troisième salle nous donne à prendre du recul. Elle nous plonge dans deux atmosphères opposées: l’une masculine, publique, violente et faite de dominations et de guerre de clans; et l’autre féminine, dissimulée, douce, et secrète. Le soir sur les terrasses est de loin la toile qui me captive le plus : il s’en dégage une plénitude et une sérénité rares. C’est aussi la première représentation de femmes en tant qu’individus libres et affirmés.

Enfin, la dernière salle nous fait découvrir cet espace féminin si bien gardé de manière encore plus intime: elle révèle les fantasmes les plus profonds de l’artiste, mais aussi de la société occidentale du XIXe siècle, et aborde sans tabou la dimension érotique de ce mouvement. Une citation de Benjamin-Constant résonne comme un choc : « Vous sentez qu’elles ne sont pas le moins du monde embarrassées et qu’elles sont dépourvues de toute faculté d’analyse, dépourvues de raison, de volonté, d’âme: ce sont de jolis petits animaux, dont la fonction est de vivre et de déployer, par des gestes lents et rares, les lignes subtiles de leur beauté. » L’éblouissement tombe, le mirage s’évapore. À eux seuls, ces mots mettent en doute le bien-fondé de cet art, dont la virtuosité nous a jusque-là entièrement envouté.

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En guise de réponse, l’exposition donne la parole aux femmes. L’artiste contemporaine Lalla Essaydi reprend les codes de l’orientalisme et les détourne pour stimuler l’esprit critique du spectateur, et l’extirper de son état de passivité et de contemplation purement esthétique. L’odalisque allongée nous regarde désormais droit dans les yeux, et sa peau est couverte d’écriture : elle a quelque chose à dire.
Majida Khattari s’attaque même à une version moderne des Chérifas : la femme originelle, nue et dans l’attente, soumise aux désirs de l’homme, se transforme en personnage dominant, à la sexualité affirmée, nous jaugeant par son regard.

La thématique de l’exposition présente donc un intérêt double, à la fois historique et contemporain. D’une part, elle nous renseigne sur les idéaux de l’époque en matière de hiérarchie sociale, raciale, mais aussi de genres. Replacée dans une perspective moderne, elle nous interroge également sur la persistance de ces représentations à l’heure actuelle.

Le commentaire de cette jeune fille, face à la toile originelle Les Chérifas , « I can relate to this » (« je peux m’identifier à ça »), me rappelle que deux siècles plus tard, ces problématiques restent actuelles, en occident comme en orient.

Du XIXe siècle au 21e siècle, il n’y a qu’un pas. L’orientalisme, tout comme l’art en général, possède ce pouvoir divin de nous hypnotiser jusqu’à la tromperie, mais aussi de nous extraire de ses chimères. Ombre et lumière, or et nuit, c’est toute son ambivalence que cette exposition nous permet d’apprécier.17.10-Augustins-Jean-Joseph Benjamin-Constant Les Chérifas WEB

Benjamin Constant, Les Chérifas, 1900.

Merveilles et mirages de l’orientalisme – De l’Espagne au Maroc, Benjamin-Constant en son temps, au Musée des Beaux Arts de Montréal, présenté jusqu’au 31 mai. Exposition organisée en collaboration avec le musée des Augustins de Toulouse, en France.

Article: Sonia Reboul

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Une appropriation contemporaine du courant orientaliste – Lalla Essaydi, Femme du Maroc et Harem (image du haut)

Images: MBAM

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Sonia Reboul

Française plus très fraichement débarquée au Canada, amoureuse de culture expérientielle, sensible aux arts visuels, interactifs, et en mouvements (et instagrameuse à mes heures perdues).

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