Danse – La Loba, performance immersive et mystérieuse
L’équipe de Danse-Cité nous a donné rendez-vous au 3700 rue de Berri.
Pourtant, cette adresse n’est ni celle d’une salle de spectacle ni celle d’une galerie d’art. Je découvre sur place une bâtisse massive en pierres grises et aux escaliers imposants. À l’accueil, le mystère reste entier : on m’enregistre (y a-t-il un risque que je n’en ressorte pas?!) et on me tend un plan en m’expliquant que ce soir, il y aura 12 performances réparties sur deux étages, chacune dans 12 pièces différentes… libre à moi de circuler comme je le souhaite jusqu’à 22h.
Je m’aventure alors dans le corridor principal. Je suis bizarrement seule. Le plancher sous la moquette verte ternie craque et les portes grincent. L’ambiance est étrange, à mi-chemin entre l’hôtel de Shining et l’atmosphère semi-fantastique de Mulloland Drive. Autour de moi, les chaises en bois, les tables et abat-jours en fer forgé laissés en désuétude, et les gardiens à moitié assoupis (font-ils partie de la mise en scène?) contribuent à mon immersion dans ce lieu insolite qui, je l’apprendrai plus tard, est en réalité un ancien institut de sourdes-muettes géré par les Sœurs de la Providence.
L’abandon est progressif : entre le 1er et le 3e étage, je passe de spectatrice à actrice de mon propre parcours. Au fil de mes rencontres avec les installations et les interprètes, j’entre dans une sorte de méditation interne rythmée par la cadence de mes pas. D’ailleurs, tout le monde chuchote dans les couloirs. Le temps y est suspendu et j’y resterai en tout 2 heures.
La Loba est une expérience profondément intime, à vivre à sa manière.
Il s’agit de « nanoperformances » dans lesquelles une interprète se retrouve en tête-à-tête avec un ou plusieurs spectateurs (jusqu’à cinq seulement)… C’est d’ailleurs une forme d’art performatif dans laquelle Aurélie Pédron, chorégraphe de La Loba, excelle. On se souviendra de Entre (qui lui a valu le Prix de la Danse de Montréal 2015), une installation/performance pour une personne à la fois dans laquelle chacun était invité à vivre un moment unique au sein d’un cocon sculptural. Encore une fois, Aurélie Pédron brise donc les codes préétablis de la scène : « On est dans une pudeur, je dirais, pour permettre au regard du spectateur de venir vers les interprètes ».
Par pudeur, justement, je ne dévoilerai pas ce que j’y ai vécu, mais je peux simplement vous dire que j’ai été profondément troublée. J’y ai redécouvert l’odeur et la texture de la terre, la douceur d’une main, le froid de la glace, et son cliquetis lorsqu’elle fond lentement… J’y ai appris que les murs avaient une âme et qu’ils pouvaient me raconter des histoires. J’y ai re-respiré à pleins poumons. J’ai subi à nouveau le bruit de la ville, pour réapprécier le silence et les chuchotements. J’ai eu peur parfois.
Je serais restée des heures dans ce lieu mystique en compagnie de ces créatures d’un autre temps.
Mais même après une errance sans fin, il y a encore bien des portes que je n’ai pas ouvertes. Qu’importe : les briques conserveront leurs mystères. Comme le dit si bien David Altmedj, c’est quand tout n’est pas révélé qu’une tension se créée. C’est de là que nait le sublime et que la magie artistique se déploie.
Au 3700 rue de Berri, j’ai vécu un rêve éveillé rempli d’étrangetés qui aura réussi à toucher ma corde sensible. En rentrant chez moi, le long des berges du parc Lafontaine, j’ai cru apercevoir un fantôme sous la lueur de la demi-lune. Pendant quelques jours et quelques nuits, la louve de la Loba risque encore de trainer son ombre inquiétante et maternelle dans mon esprit remué.
La Loba
- Où : 3700 rue de Berri
- Quand : 20, 21, 22, 23, 24 septembre – entrée entre 19h et 20h30 – Fermeture de la bâtisse à 22h; 25 septembre – entrée entre 15h et 16h30
- Combien : 25 $ (billetterie : 514.982.3386 ou en ligne; achat sur place le soir des représentations, en argent comptant seulement)
- Évènement Facebook
- La troupe : Danse-Cité
- L’artiste : Aurélie Pédron
Crédit photo : Nicolas Ruel