Arts visuels – Dans l’univers de l’artiste Claude Chaussard

C’est au détour d’un regard que j’ai découvert le travail de Claude Chaussard : dans une Foire Papier bondée et survoltée, mon oeil fût happé par un « trou blanc ». La blancheur, le dépouillement et la justesse du tracé de ses Nus furent mes portes d’entrée dans son univers artistique. Quelques semaines plus tard, j’étais invitée à découvrir l’intimité de son atelier dans le grand complexe d’artistes du Canal Lachine. Dissimulée au fond d’un dédale de couloirs, c’est dans le fumoir de cette ancienne manufacture de matelas que l’artiste, Français d’origine et Montréalais d’adoption, a aménagé cette petite caverne d’Ali Baba, alternative à son grand atelier de Paris.

Il m’avait prévenu : « Il faut venir tôt pour voir la lumière qui est extraordinaire ! »

Aujourd’hui, manque de chance, il pleut. Mais malgré la couche nuageuse, je peux très bien imaginer la clarté filtrer à cette heure matinale à travers les vieilles fenêtres à battants. Cette lumière, justement, s’avère être un élément essentiel dans le travail de cet artiste qui a fait sa thèse sur Soulages. Changeante, non maitrisable, éphémère parfois… elle est à l’image de ses œuvres. Elle est aussi dotée d’un puissant pouvoir de transformation : tout objet qui y est exposé risque altération. La transformation des matériaux, c’est justement le fil conducteur du travail de Claude Chaussard.

C’est par hasard que l’artiste commence à s’intéresser au phénomène d’altération:

lors de la réalisation de ses Macules d’architecture (peinture sur verre) durant ses études d’architecture, il s’aperçoit en retournant le support que son œuvre, blanche à l’origine, est devenue verte. Au contact de ce verre extra blanc – qui s’avèrera d’une extrême rareté ! – la peinture s’est métamorphosée. Dès lors, découvrir de nouveaux modes de transfiguration des matériaux sera le leitmotiv de ce jeune artiste… Ou comment retrouver cette instant de grâce où la matière est créée pour disparaitre, apparaitre, ou se modifier dans le temps. Chose que j’ignorais, ses Nus, eux aussi, subissent depuis leur « naissance » une transformation immuable : réalisés à la pointe d’argent, leurs traits sont ineffaçables et bruniront au fil des années. De même, ses Lettres des anges conçues à partir d’huile dépigmentée jauniront dans le temps et à l’ombre… pour reblanchir à la lumière.

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Essais, erreurs, choix et préparation méticuleuse des matériaux des supports font de Claude Chaussard un homme de science autant que d’art.

Un savant jeu entre haute technicité et perte de contrôle fera émerger de nouveaux éléments. Pourtant, l’artiste ne se qualifie pas tant de « chercheur » : « Je ne cherche pas. Je trouve. » Mais pour trouver et s’abandonner, encore faut-il maitriser ses gestes et ses outils ! Ainsi, confectionne-t-il lui-même les pointes d’agent qui serviront à dessiner ses Nus, à partir d’une mine d’argent pur montée sur un critérium (en soit, déjà un objet d’art !). C’est aussi lui qui fabrique son parchemin, contrôlant alors son degré de rugosité et sa capacité à plus ou moins retenir les particules d’argent, ainsi que son huile « dépigmentée » en retirant les pigments de couleur de sa peinture. Côté technique, il répètera par exemple pendant une dizaine de minutes chaque trait de crayon au préalable sur un papier standard avant de figer ses Nus pour l’éternité.

Tout cela peut paraître bien sérieux de technicité et de précision sur le papier…

pourtant, il est un élément essentiel que je n’ai pas encore évoqué et qui se retrouve au cœur de son art : le jeu ! « La vie, c’est fait pour s’amuser avant tout ! » me lance-t-il au détour d’une conversation. Claude Chaussard est un homme malicieux qui se plait à raconter les anecdotes de ses différents projets, depuis la surprise de réaliser en plein chantier que son Arche de feu est positionnée juste sur l’itinéraire des convois exceptionnels français, qui finiront par intégrer l’oeuvre à leur trajet, la frôlant désormais de quelques centimètres à chaque passage… jusqu’à cette folle expérimentation avec du mercure (Le silence transparent), qu’il juge « tout de même un petit peu dangereuse » le jour où il s’aperçoit que les vapeurs ont attaqué sa gourmette en or logée dans sa poche de pantalon. Claude Chaussard joue avec les matériaux, mais aussi avec le temps et sa propre technicité : « Je navigue à vue. » dit-il en parlant de ses Lettres des anges. « Ce qu’est un an après que la couleur se révèle et que je peux vérifier si cela me convient. » Alchimiste espiègle, un peu savant fou, l’émerveillement de Claude à chaque nouvelle découverte est communicatif, comme ce jour où il remarquera l’apparition de poils (!) à l’application de peinture sur du papier non-tissé utilisé en muséographie… ou alors lorsqu’il réalisera que le seul moyen de verser son mercure est goutte à goutte avec une seringue afin d’éviter qu’il ne s’éparpille en billes. Définitivement orienté sur le plaisir d’expérimenter et de créer, il collabore aussi avec d’autres disciplines artistiques, comme dans Le Colofon (livre tiré à 27 exemplaires mêlant art et écriture), ou dans ses Traits de crais, où il s’amuse à faire claquer sur une toile des cordes imprégnées de pigment au son de rythmes contemporains.

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Comme le dit si bien son confrère Maurice Benhamou, l’art de Claude Chaussard est un « art intime, retenu à l’extrême, ouvert sur l’invisible », où « le médium décide de l’itinéraire ». Art multiple, art surprise et art évolutif, porté par une recherche artistique de fond, une curiosité avide, et un enthousiasme flagrant, il est pour moi un art aussi philosophique : celui de connaître le juste moment de l’abandon, cette bascule qui fait naitre le Beau et l’Éternel.

Site Internet
Artiste de la Galerie Correia art contemporain
Renseignements : Jean-Michel Correia – 819 571 3368 – jeanmichel.correia@cgocable.ca
Photos : Sonia Reboul

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Sonia Reboul

Française plus très fraichement débarquée au Canada, amoureuse de culture expérientielle, sensible aux arts visuels, interactifs, et en mouvements (et instagrameuse à mes heures perdues).

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