Exposition – Ken Nicol: l'obsession fait l'oeuvre
fuck you (2012)
Il y a des ces oeuvres qui ne se vivent pas de la même façon de proche et de loin. Avec un peu de distance, on discerne un motif, une signature. Une fois le nez collé au geste de l’artiste, un univers tout autre se déploie, prend vie. C’est le cas de Ken Nicol, maître dans l’art de la précision millimétrique. Dans le monde qu’il façonne à coup de feutre et de pointe fine, tout doit être ordonné, classé et calculé selon un système graphique ou numérique bien précis. Du moins, c’est ce que son travail laisse croire. Chose certaine, cet artiste originaire de Toronto sait transformer un simple « fuck you » en un paysage graphique subtil et troublant. On s’est rendu à la galerie antoine ertaskiran pour y découvrir son plus récent solo, présenté jusqu’à la fin du mois.
L’exposition Every3point65 nous plonge dans le microscopique. Artiste méticuleux à l’extrême, ses œuvres commandent la même rigueur à celui qui les regarde: il faut prendre son temps et être attentif. Après un premier coup d’oeil sur l’espace de la galerie épurée quasi intimidante, on se demande comment capter la catharsis dans ces oeuvres minimalistes. On trouve notre réponse en brisant le mur du silence graphique et en écoutant du regard les oeuvres de plus près. Avec sa série ‘Innapropriate’ Grids qui, de prime abord, nous apparaît comme une série de motifs simples sur papier blanc, Nicol nous confronte à des mots fort sympathiques du genre ‘fuck you’, ‘cunt’ et ‘motherfucker’. Il nous offre une manifestation agressive tout en douceur, contenue, retenue. Comme l’explique Nicol, l’écriture de ces mots origine d’abord une colère tranquille. Puis, la répétition les transforme en quelque chose de drôle. À la fin, ces itérations minuscules deviennent motifs esthétiques. Ce qui semblait plat prend désormais une tournure comique très humaine.
Pratique originale ou trouble obsessionnel compulsif?
Le processus créatif de Nicol est plus performatif que plastique. Le rendu parfois hermétique de ses oeuvres témoigne de leur qualité documentaire, telle une trace physique de ces TOC. Mais nous n’avons accès qu’à un fragment partiel de ses activités artistiques réduites à une pulsion calligraphique. On ne saurait les considérer comme des oeuvres achevées, une fin en soi, mais plutôt comme un moyen de marquer sa présence, un besoin de faire perdurer un geste à la fois éphémère et infini.
Avec Obsessive Compulsive Order (2009), Nicol archive quotidiennement l’heure à laquelle il verrouillait la porte de son atelier, un stratagème méthodique pour ne pas l’oublier. Obessive Compulsive Order est aussi un jeu de mots en lien avec le syndrome OCD, une manie qui semble s’associer avec son désir maladif de collectionner les résidus du quotidien (cups de café souillés, poils de barbe ou insectes morts), à les classifier et à les transposer en œuvre d’art. La frontière entre l’art et la folie se brouille. On en vient alors à se questionner sur cette limite entre nos propres habitudes intimes et la compulsion. N’avons-nous pas tous un TOC dissimulé qui nous enracine dans un réel parfois prosaïque?
Flogging a Dead Horse (2011) elle, est une œuvre où l’artiste écrit son compte jusqu’à 5 (à la Robinson Crusoé) un nombre incalculable de fois, jusqu’à ce que l’encre du stylo s’épuise. Pourquoi ce titre? L’expression « to flog a dead horse » est souvent utilisée pour décrire une tentative répétée vouée à l’échec, une insistance qui en devient ridicule puisqu’elle va trop loin. Passer des heures à faire des traits dans le but de vider le réservoir d’encre d’un stylo est en effet, assez absurde et inutile. Cette allégorie s’associe aussi plus généralement à la démarche de l’artiste, une vision à l’encontre du paradigme de l’artiste glamour rappelant plutôt la nature mécanique de la production artistique. Dans une autre oeuvre, Nicol s’affaire à compter les grains d’un sachet de sel, ou encore à former le plus grand nombre possible de minuscules boîtes à partir d’une fiche de note. Un temps fou à construire de petits objets anodins et inutiles.
Les nombreuses heures de travail derrière l’œuvre d’un artiste restent souvent invisibles à notre oeil. Même derrière une œuvre qui nous parait simpliste à l’extrême, on s’imagine qu’elle est le fruit d’un long processus d’exploration et de réflexion. Le travail de Ken Nicol laisse des traces physiques des nombreuses heures
dédiées à la création et à la concrétisation d’une œuvre, et nous montre le génie d’un artiste qui voit l’art dans les objets et la trivialité de tous les jours.
Découvrez en plus sur l’artiste via son blogue every3point65
galerie antoine ertaskiran
1892 rue Payette / Griffintown Ken Nicol, Every3point65 : jusqu’au 1e mars 2014 Suivez la galerie sur Facebook et Twitter.
Obsessive Compulsive Order (2012)
flogging a dead horse (2012)
the button I pressed a million times (2009)
Photo de l’atelier de l’artiste
Article: Milly Alexandra Photos et images: Ken Nicol,galerie AE et studio-beat.com