Arts visuels – Yinka Shonibares MBE @ DHC/Art : marginal et métissé
La fondation DHC/ART interroge le métissage et l’ambivalence culturelle avec Pièces de résistance, une exposition d’envergure consacrée au travail de Yinka Shonibares MBE, artiste pluridisciplinaire présenté dans de nombreuses foires prestigieuses comme Documenta 10 et la 52e Biennale de Venise.
La recherche artistique de Yinka Shonibares MBE est intimement liée à ses origines multiples. Le travail créatif de cet artiste né à Londres de parents nigérians, et ayant vécu successivement en Angleterre et en Afrique, tourne autour des questions d’identité culturelle et ethnique, des rapports de force entre Afrique et Europe, et de l’héritage colonialiste.
En guise de fil directeur, il s’approprie le tissu wax, qu’il intègre à ses sculptures, photographies, maquettes, vidéos, costumes et même accessoires. Tout comme l’artiste, cette étoffe gaiement colorée aux motifs géométriques est née d’un métissage afro-européen : si elle est directement associée aujourd’hui à l’Afrique, sa production et sa commercialisation sont longtemps restées hollandaises.
Yinka Shonibares MBE repense ainsi notre héritage occidental et nous invite à redécouvrir des chefs d’œuvres de Géricault, Goya, Verdi, et de Tchaikovsky avec une autre perspective.
L’opposition entre les couleurs vives du tissu et les clairs-obscurs est une métaphore évidente des problématiques d’intégration et de choc culturel. La force de Yinka Shonibares MBE est qu’il parvient à composer, avec une touche d’humour, autour d’éléments appartenant à ses deux cultures. Ainsi, il révèle à la fois un profond respect pour ses origines britanniques, mais aussi un sentiment de marginalisation lié à ses racines africaines. L’artiste porte d’ailleurs cette dualité dans son nom: en jouxtant délibérément l’acronyme « MBE » à des consonances africaines, il s’amuse à prendre le chemin inverse des nombreux artistes africains ayant refusé cette distinction de l’excellentissime ordre de l’Empire britannique (« Most Excellent Order of the British Empire »).
Les vidéos sont pour moi les pièces les plus fortes, peut-être parce qu’elles intègrent la danse, moyen d’expression que j’affectionne particulièrement.
Un ballo in Maschera (« Un bal masqué ») s’inspire de l’opéra de Verdi du même nom, dans lequel est relaté l’assassinat du roi Gustave III de Suède, au cours d’un bal masqué. Ici encore, Yinka Shonibares MBE y insère des éléments en référence à la culture africaine sur une toile de fond très classique. On y retrouve de somptueuses robes de bal en tissu wax, mais aussi une gestuelle saccadée, qui m’évoque le surnaturel des rites vaudou.
À travers son roi, Yinka Shonibares MBE dépeint une classe dominante égocentrique, éprise de pouvoir, isolée, et presque ridicule avec ses mimiques grotesques empruntées à l’aristocratie européenne de l’époque.
Par un jeu d’itérations, l’intemporalité de l’histoire est mise en exergue, et par là même le caractère répétitif des mouvements d’oppression envers certains peuples. La scène de l’assassinat se répète plusieurs fois d’affilée, et le film finit par retourner à son point de départ : à aucun moment, le corps du roi mort n’apparaît. A-t-il donc été bien tué? Le colonialisme est-il vraiment enterré?
Dans Odile and Odette, Yinka Shonibares MBE livre sa propre interprétation du lac des cygnes de Tchaikovsky. Dans la version originale du ballet, Odette, envoutée par une sorcière, doit vivre dans la peau d’un cygne le jour, et d’une femme la nuit. Ici, la ballerine se dédouble en une femme blanche et une femme noire, séparées par un miroir, toutes deux vêtues d’un magnifique tutu en wax. Reproduisant par deux fois la même chorégraphie filmée d’un côté puis de l’autre du miroir, l’œuvre nous interroge sur la relation entre les deux danseuses : qui est-le modèle? Laquelle tente d’imiter l’autre?
On se demande si finalement il ne s’agirait pas de la même personne, possédant deux identités en constante opposition, et pourtant se respectant et s’admirant l’une l’autre.
L’absence de musique rend la composition particulièrement sincère : le rythme de la respiration et le claquement sourd des pointes sur le plancher induisent une proximité telle que l’on ressent intérieurement à la fois l’angoisse et l’enthousiasme générés par la dualité de cette identité.
C’est donc une résistance par l’intérieur que nous suggère l’exposition. Elle nous invite à une confrontation, dont l’objectif ne serait pas la destruction d’un héritage, mais plutôt son appropriation, afin de faire naitre, des oppositions et des influences, un métissage moderne se revendiquant en tant que tel. L’exposition semble avoir trouvé justement sa place à Montréal, ville de création cosmopolite, carrefour de mixité culturelle autant qu’ethnique.
Article: Sonia Reboul
Pièces de résistance, Yinka Shonibare MBE, du 29 avril au 20 septembre 2015 au DHC/ART – Entrée libre.
Visite audioguidée disponible sur l’application itunes du DHC/ART ici.
Visites guidées du midi
Tous les mercredis, jeudis et vendredis, à partir du 6 mai à 12 h 15.
Visites guidées avec la commissaire, Cheryl Sim:
Réservations requises à info@dhc-art.org ou au 514 849-3742
- Samedi, le 16 mai 2015 (français à 14h / anglais à 16h)
- Samedi, le 20 juin 2015 (français à 16h / anglais à 14h)
- Samedi, le 12 septembre 2015 (français à 14h / anglais à 16h)