Danse – « Jamais assez » au FTA, danser le présent pour imaginer le futur
Dans 100 ans sera achevé la construction d’Onkalo, un site d’enfouissement sous-terrain destiné à recueillir des déchets nucléaires sur une période de 100 000 ans. Ce projet inconcevable à échelle humaine est le point de départ de Jamais assez, une création de danse présentée au FTA, portée par un puissant travail de lumière et l’énergie de 10 danseurs virtuoses.
10 – 100 – 100 000. Ces multiples donnent le tournis, tout comme cette danse folle où les interprètes incarnent tantôt des ombres, tantôt des morceaux de magmas noirs, des aiguilles d’un gigantesque cadran solaire, ou encore des particules atomiques.
Après un premier tableau intense et presque interminable de gestes saccadés à la limite du toc et de la perte d’équilibre, s’ensuit une séquence au momentum plus fluide, où le mouvement est entrecoupé de courts instants de complicité lorsqu’un regard se croise, ou que deux corps se frôlent. Car pour Fabrice Lambert, chorégraphe de la pièce, « l’enjeu de cette danse est de saisir la temporalité du présent ». Au-delà de toute réflexion écologique, mais aussi de toute considération technique sur la physicalité des interprètes, ce sont surtout ces brefs instants de magie qui m’ont interpellés. Le travail sonore faisant écho aux effleurements y est particulièrement bien réussi.
Notons que la thématique de l’accélération de nos sociétés – que ce soit au niveau du développement technologique, mais aussi des rapports humains – est chère au festival cette année (voir notre critique de Go Down, Moses). Ainsi, je n’ai pas pu m’empêcher de lire une métaphore de Tinder dans cette scène où un homme, seul au centre d’un cercle d’interprètes immobiles, pointe son doigt successivement vers l’un puis l’autre, et saute désespérément dans un désir vain d’élévation verticale. Il faudra attendre que l’un se détache du cercle et vienne le prendre dans ses bras pour que le jeu soit enrayé. La pièce semble donc annoncer une issue plutôt heureuse, qui va en crescendo jusqu’à un final haut en intensité, s’ouvrant sur des ronds de fumée, montant progressivement des coulisses au plafond… Champignons atomiques ou messages réunificateurs d’un calumet de la paix?
Dans ce dernier tableau, les interprètes euphoriques s’élancent dans une ronde, bondissant et dévoilant par leur trajectoire une lemniscate, le signe de l’infini. Mais peu à peu, les cerceaux de fumée se transforment en un épais brouillard angoissant qui s’avance vers nous. J’ai été contaminée par le désir d’être ensemble, mais j’aurais aimé que la pièce dure un peu plus longtemps pour vraiment y croire. Comme les danseurs de cette ronde finale qui jouissent de se croiser sans jamais se toucher, je me demande si tout cela n’est pas une danse vaine.
Jamais assez, dans le cadre du Festival TransAmériques
3 et 4 juin 2016 – Usine C