Culture – Rouge Mékong, voyage immersif à la Satosphère

o-ROUGE-MEKONG-facebookQuerelles est fier de vous présenter Sonia Reboul, nouvelle collaboratrice Arts & Culture!


J’ai l’habitude de suivre de très prêt les évènements de Société des Arts et Technologies. Espace de diffusion, mais aussi formateur et centre de recherche artistique multidisciplinaire. C’est un lieu qui donne à faire de belles découvertes, toujours innovantes, et créatives.
 Quand j’ai vu cette annonce pour Rouge Mekong, ce « voyage immersif 360° » décrit comme un mélange de « cinéma intéractif, de performance, de poésie, et de musique », ma curiosité a été piquée.

La rencontre a lieu dans la Satosphère à 20h15.
 Je pousse le rideau, et me retrouve sous le grand dôme, dans ce qui semble être une chambre en Asie, entourée de meubles et d’objets divers : un immense lit, une table de chevet, une coiffeuse, un sofa, un portant à vêtements, deux gros tas de valises… Je me promène lentement, les observant avec la distance de rigueur face à une création artistique. Las de ma journée, j’aimerais m’allonger sur le lit, mais la bienséance me l’interdit : il s’agit après tout d’une œuvre d’art. Alors, je m’assois au sol à côté des valises fermées, attendant qu’il se passe quelque chose. Soudain, la coupole s’anime pour venir compléter le décor : apparaissent une fenêtre, un plafond, des murs couverts de tapisserie et de posters. Une douce musique asiatique pose l’ambiance; puis, survient le chaos des rues surpeuplées d’Asie. Cette foule, ce rythme, je les connais puisque j’y ai vécu. En l’espace d’un instant, je parcours 13750 km.

Mon regard est alors attiré par cet homme, juste à côté de moi, qui commence à ouvrir une des valises, et à fouiller littéralement dedans. Interloquée par ce viol artistique, je le surveille du coin de l’œil, bercée par la musique et les images, tout en me demandant si j’ai moi aussi le droit de faire la même chose. Je finis par me pencher par-dessus son épaule, puis, prise au jeu, je plonge mon nez dedans. J’y découvre, en vrac, des lettres, des mots griffonnés, des carnets non achevés, des dessins, un walkman, des livres écornés et annotés, des photos… C’est rouge et noir, c’est beau, et visiblement ça parle d’amour écorché.
 L’esthétisme de ces objets ne suffit pas. Je veux comprendre. J’ai l’impression d’avoir une énigme sous les yeux. Quelle est l’histoire de cette femme? Qui se cache derrière cette écriture? Ai-je de vraies lettres entre les mains, de vrais objets ayant partagé sa vie? La ressemblance avec ma propre « boite à trésors » me frappe. C’est toute une intimité qui se dévoile à moi et je ne peux m’empêcher de me sentir à la fois honteuse de cette violation, mais aussi curieuse et proche de son vécu. Cela ne peut être que réel. De fil en aiguille, je m’immerge dans un livre de Sophie Calle, Douleur exquise : une compilation de témoignages sur les souffrances de la vie. L’exil du pays et l’amour perdu en font partie. J’ai connu les deux, alors cela me parle.

Après un laps de temps indéfini, j’émerge des pages et remarque que beaucoup de choses se sont passées autour de moi : cinq jeunes femmes en nuisette noire ont atterri sur le lit, je ne sais comment. Une magnifique blonde d’âge mûr, dans le même habit, est assise à la coiffeuse. Elle ouvre un tiroir et en sort des flacons de parfum, un à un, les nommant par le prénom de leurs propriétaires, de ses amants. Pour chacun, elle se rappelle cette petite chose si spéciale.
C’est elle, enfin. C’est moi, dans 20 ans. C’est nous toutes et nous tous. Eddy et sa candeur, Raphaël et ses boucles rousses, Grégoire et sa mèche blonde, Souheil et ses collages, Fabien et sa folie, Romain et son visage d’ange, Maxime et ses grandes mains, Geoffroy et ses yeux rieurs, Thomas et sa bonté, Adrien et sa fiancée, Sébastien et sa voix chaude, Radisson et sa révolution, Alex et son spleen… Qu’importe le moment, qu’importe la durée, l’intensité ou la réciprocité, ils feront pour toujours partie de ma vie et de ses mystères.

Une chanson aux accents asiatiques se met en route. Elle me prend à la gorge. L’ambiance, les mots, et les images, ravivent à ma mémoire la souffrance de l’abandon : le déracinement, mais aussi la perte de l’être aimé, de son corps, de sa voix, de son odeur et de sa présence tout entière.
 Qu’est-ce que l’amour dans tout ça? Est-ce si important finalement? Ne vaut-il pas mieux vivre les choses pleinement, ressentir la vie, dans sa douleur et dans ses plaisirs? 
Des couples se forment : dans la pénombre, ce mercredi soir, sous la coupole, ils dansent un slow. Je commence doucement à comprendre que finalement, il n’y a rien à trouver : il y a juste une femme, Sarah Lebovitz, aussi multiple que ses amants. Il me semble la connaitre: elle me rappelle quelqu’un. La musique s’arrête. La lumière se rallume.

Je viens de plonger au plus profond de moi-même.

Rouge Mekong, par le collectif Lebovitz, du 2 au 16 avril, à la SAT – 50min.

Article: Sonia Reboul

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Photos: Sébastien Roy et Rouge Mékong

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Sonia Reboul

Française plus très fraichement débarquée au Canada, amoureuse de culture expérientielle, sensible aux arts visuels, interactifs, et en mouvements (et instagrameuse à mes heures perdues).

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