Arts visuels – Dominique Blain: l'art d'être engagée
Être artiste et avoir une pratique engagée représente un double défi. Dans les médias, on est quotidiennement bombardé d’images violentes et sensationnalistes qui tentent de faire état des désastres écologiques et des atrocités qui se passent sur la surface du globe. Dans ces circonstances, comment atteindre le public, sans être cliché ou sans avoir l’impression de lui casser les oreilles ? Pas facile, mais c’est ce que fait avec brio l’artiste montréalaise Dominique Blain avec l’exposition Blancs de Mémoire (Memory Blank) présentée à la galerie antoine ertaskiran jusqu’au 23 novembre. Une expérience pour le visiteur qui ne se veut ni agressive ou moralisatrice, et qui se prend plutôt comme un moment de réflexion.
Révélation par le dialogue
Au fond de la galerie se tient le point fort de l’exposition: deux oeuvres qui entrent en dialogue et proposent une réflexion sur la responsabilité des gens au pouvoir face aux victimes de conflits politiques. L’oeil du visiteur est attiré par une projection vidéo au sol, l’oeuvre Maëlstrom (2013) qui nous met face à des photos de visages d’enfants virevoltant en tous les sens, tel un paquet de cartes qui tomberait au sol. Il s’agit en fait de photos d’archives appartenant aux Nations Unies que l’artiste a eu la chance de récupérer il y a ce ça plusieurs années. S’il s’agissait au début d’une photographie de groupe, l’artiste s’est affairé à la transformer en portraits individuels de chaque enfant. En dégageant leur visage du lot, l’artiste amorce l’individualisation de ces jeunes réfugiés, qui sont par milliers sur terre et tous anonymes. En levant les yeux, on se retrouve face à une oeuvre qui contraste drôlement avec l’oeuvre précédente, soit Portrait de Famille (2013). Il s’agit en fait d’une photographie officielle d’une rencontre des membres du G-20 floutée pour qu’on ne puisse plus les distinguer. Étonnamment, presque tous les visiteurs sont capables de différencier les personnages présents sur la photo grâces à leurs attributs idiosyncrasiques: Obama à gauche, Poutine à droite et bien visible au centre madame la chancelière Merkel. La notoriété de ces personnages contraste avec l’anonymat des enfants. On se rappel du titre, Blancs de Mémoire et on voit vite ceux qui dans cette équation sont oubliés.
Une pratique cohérente
Si Maëlstrom et Portrait de Famille sont aussi très forts visuellement, c’est que la dimension esthétique de l’oeuvre est une partie importante du travail de Dominique Blain. Les conflits de guerre et les inégalités découlant de ceux-ci sont le moteur de l’oeuvre de l’artiste, et ce, depuis le début de sa carrière. Pour
l’artiste, fouiller ces sujets et ces images relève presque d’une obsession. Comme si à force de creuser, de voir et d’exposer, on pouvait finir par comprendre. Si les thèmes restent sensiblement les mêmes, les oeuvres, elles, se ressemblent rarement. Dominique Blain crée avec plusieurs médias, certains innovateurs d’autres plus traditionnels, s’adapte à l’ère du temps et, en temps qu’artiste, se réinvente ainsi constamment.
Bref, l’art engagé amène souvent des réactions très polarisées: soit on aime beaucoup ou on ne peut pas supporter. C’est pourquoi une aura d’admiration spéciale entoure ces artistes qui refusent d’oblitérer ces réalités en les faisant matière première de leur pratique. Et surtout à renforcer l’idée que ce n’est pas parce que nous vivons ces atrocités humaines et historiques d’un point de vue occidental et lointain que nous n’avons pas le droit- et surtout le devoir – de décrier notre indignation par l’art ou l’action. Dominique Blain le fait avec brio, et une balade dans Griffintown est une bonne occasion de découvrir cette artiste bien établie sur la scène québécoise, en plus d’avoir un bon aperçu de sa pratique la plus récente.
galerie antoine ertaskiran
1892 rue Payette / Griffintown
Blancs de Mémoire (Memory Blank) : jusqu’au 23 novembre 2013
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Article: Milly Alexandra
Images: galerie antoine ertaskiran