Arts visuels – Sylvie Readman et Jana Sterbak : dialogue sensible à la Galerie Laroche/Joncas
En cet automne riche en matière culturelle, la Galerie Laroche/Joncas met à l’honneur Sylvie Readman et Jana Sterbak, deux artistes canadiennes bien établies sur la scène artistique de Montréal depuis plus de vingt ans. Jusqu’au 2 novembre, la galerie convie le visiteur à explorer les valeurs métaphoriques du paysage, et le narratif timide qui prend vie entre les œuvres promet une expérience visuelle des plus enivrantes. Le plus surprenant, c’est de constater à quel point le travail de ces deux artistes se fait si naturellement écho sans qu’un véritable travail de commissariat n’y soit inscrit. Ce qui révèle finalement la ligne curatoriale de la galerie, intrinsèque et subtile. Les œuvres photographiques et vidéos, bien qu’étant individuellement fascinantes, redouble de puissance par cette mise en relation. L’exposition Sylvie Readman et Jana Sterback permet au visiteur de façonner ses propres rapprochements et interprétations, et de s’abandonner à ces deux esthétiques enivrantes ouvrant une fenêtre sur des univers abstraits et oniriques.
Laroche et Joncas ont choisi d’exposer de leurs artistes des créations mettant en scène un dialogue visuel entre la condition humaine et son environnement, fil d’Ariane de ce double corpus lié par une sensibilité qui chamboule le spectateur. Par le truchement de leur médium et de par leur couleur respective, elles suggèrent des paysages chargés d’une intensité poétique. Happé par la puissance des images photographiques et vidéos, on est invité à éveiller nos affects, à interroger la nature du temps qui passe ainsi que la légitimité de l’existence humaine. Un esprit de contemplation quasi méditatif subjugue celui qui ose s’abandonner à cette expérience de l’ordre de la métaphysique.
Les Non-Lieux de Readman
Sylvie Readman, Point d’équilibre, 2006, épreuve à jet d’encreLes photographies intrigantes de Readman représentent une réalité subjective où les jeux de transparences invraisemblables donnent forme à de vastes espaces vides. L’artiste obtient ces « noirs et blancs » énigmatiques par un travail raffiné alliant le souci de l’esthétisme et l’audace de la technique. Readman crée des formes et flous inusités par le déclenchement répété de l’obturateur sans toutefois réarmer l’appareil. Et puis, de multiples impressions, légèrement décalées sur un même papier mat, génèrent des effets de mouvements irréels tout en créant un aspect texturant vaporeux. Ces procédés suscitent des vibrations chromatiques intenses, envoûtant notre regard surpris de cette relecture du paysage. Paysages qui semblent être des non-lieux, insituables, transgressant les repères et faisant naître en soient, une curiosité. Les œuvres, Point d’équilibre (2006), Déclinaison (2006) et Reports (2006), promettent une expérience de l’ordre du transcendant. La qualité esthétique de ces clichés photographiques, en grande partie due à la composition, mais surtout à l’intensité des gris, projette le visiteur dans un décor inhabité où la marque de l’homme se fait pourtant sentir. Les images évoquent les conséquences du développement urbain par leur puissant pouvoir de sublimation.
Le Monde aux trois saisons de Sterbak
Jana Sterbak, Sakura, 2006, vidéoReconnue pour sa célèbre et controversée Robe de chair pour albinos anorexique (plagiée très publiquement par Lady Gaga), l’artiste multidisciplinaire, Jana Sterbak, présente trois œuvres vidéos touchant à la dimension quotidienne de la vie. Ces créations de la série Les Saisons, diffusées en boucle, représentent
les loisirs actuels que pratique l’humain selon le cours des saisons. Pour ce faire, Sterbak puise son inspiration dans un classique de l’histoire de l’art flamande; la série sur les saisons imaginé au XVIe siècle par Pieter Brueghel l’Ancien. Par exemple, la vidéo Sakura s’inspire des esquisses de l’œuvre Printemps réalisée par Brueghel. Alors, Sterbak remémore par le traitement pictural le récit de ces créations flamandes manquantes tout en réactualisant la thématique des saisons. Cette vidéo consiste en une scène vernale où une foule de personnes tracée brièvement d’un contour noirci s’adonne à des divertissements, certains pique-niquent, et d’autres déambulent, célèbrant l’arrivée du printemps. Les images des trois créations défilent lentement, en temps réel, et la contemplation de ces vidéos permet au visiteur de réfléchir sur sa condition et son impact environnemental. Tout comme si les œuvres de Sterbak consistaient en une réponse aux photographies de Readman, les grandes images illustrent les effets de l’homme sur le monde expliqués par les vidéos, exposant le mode de vie basé sur le divertissement.
Les deux artistes, par une poésie et une sensibilité esthétique, accompagnent le visiteur dans les questionnements relatifs au macrocosme que tente de déjouer l’humain. Ces œuvres réalisées suivant deux optiques divergentes trouvent pourtant symbiose dans le cadre de l’exposition. Elles s’enrichissent mutuellement pour ainsi générer une puissance émotionnelle invitant inévitablement à une remise en cause de la nature humaine et son impact.Il est possible de voir des extraits de Sandering, February et Sakura, ici.
Sylvie Readman & Jana Sterbak
7 septembre 2013 — 2 novembre 2013
Galerie Laroche/Joncas
372 Ste-Catherine O. # 410 (Belgo) / Centre-Ville