Par Milly Alexandra 7 août 2013 dans Art & Expositions, Culture

Exposition – Michel de Broin: plasticien de l'absurde

Sous la chaleur caniculaire de l’été, la scène artistique montréalaise semble elle aussi somnoler un peu en vue du retour en force imposé par la rentrée culturelle de l’automne. Pour les amateurs d’art et les non-initiés, la période estivale est un bon moment pour s’aventurer au musée avant que le vent automnal ne fasse tourner les expos, et pour apprivoiser l’art actuel sous sa forme la plus divertissante. En août, Querelles vous propose de braquer vos regards sur l’artiste montréalais Michel de Broin, dont le travail à la fois comique et réflexif est présenté en rétrospective jusqu’au 2 septembre au Musée d’art contemporain.

Objets connus, méconnaissables

L’oeuvre de Michel de Broin est surtout connue en Europe, Paris lui ayant même commandé la plus grosse boule disco du monde pour sa Nuit blanche en 2009. Si l’on décrit son sa démarche conceptuelle comme un entremêlement de commentaires sociaux et de références à l’histoire de l’art, son rendu artistique subversif fait élégamment le pont entre le politique et le poétique. Dans l’exposition qui lui est consacrée au MACM, cette naturelle ambivalence dans son travail est bien visible, et deux oeuvres captent notre attention en raison de l’étrange prose qui s’en dégage. Dans une pièce sombre, on assiste à Trancher dans la noirceur (2010), une vidéo où l’on voit un homme armé d’une tronçonneuse affairé à abattre un lampadaire. Clin d’oeil aux désastres des coupes à blanc, il s’agit d’une oeuvre inquiétante et magnifique où tombent les arbres de métal, anéantissant du même coup toute source de lumière urbaine.

Étant Donnés (2013) est encore plus déconcertante pour le spectateur, puisqu’il se retrouve face à un lavabo renversé d’où coule simultanément l’eau et le feu. On se demande longuement comment l’artiste a pu réussir une telle prouesse technique. Logée dans le coin d’une des salles d’exposition, l’oeuvre en retrait provoque un effet de surprise saisissant. Bref, une simple pièce de plomberie devient quasiment magique, ensorcelante. Une étrange beauté rassemble ces deux oeuvres qui semblent définitivement appartenir au même monde peuplé de ready-made personnifiés.

Perdre ses repères

Michel de Broin est un artiste bien ancré dans Montréal. Et littéralement en plus, puisque son travail décloisonne les frontières muséales pour se répandre in situ. Deux oeuvres côtoyées par les Montréalais faisant partie intégrante du paysage urbain méritent tout particulièrement d’être mises en lumière. Lors d’une balade à vélo, certains ont eu la chance de croiser Entrelacement (2001), une oeuvre située en bordure du canal Lachine se moquant de la signalétique et qui consiste en un segment à l’allure de gribouillis qui vient prolonger la piste cyclable. Créée avec le même ton humoristique, Révolutions (2003) est une seconde oeuvre publique monumentale que vous avez certainement déjà croisée sur votre route. Cet escalier entrecroisé débouchant sur lui-même est planté à deux pas du métro Papineau, et étourdit les passants plus qu’il ne leur donne le vertige. La démarche de Michel de Broin détonne, détourne et déconstruit, comme ces deux constructions humaines et rationnelles (l’escalier et la piste cyclable) sensées nous guider du point A au point B mais qu’il s’amuse à débousolé. Transformer un acquis du quotidien en objets de l’absurde confirme sa position d’artiste baveux qui souhaite provoquer le rire plutôt que la consternation.

Fait notable, De Broin ne manipule abilement pas seulement le poétique et le subversif ludique, mais aussi la matière. Phénomène de plus en plus rare dans le monde de l’art actuel, l’artiste réalise manuellement et techniquement la quasi-totalité de ses oeuvres. Coup de coeur pour un artiste qui possède beaucoup d’humour ainsi qu’une âme de bricoleur à l’imagination débordante.