Cinéma – Pourquoi Birdman a gagné aux Oscars

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L’heure cruciale du tapis rouge est passée, le moment de la consécration est venu. Birdman a raflé dimanche soir le prix du Meilleur film décerné par l’Académie devant de grands favoris comme Boyhood ou des productions à la facture plus classique tels que The Imitation Game. Sans doute à la surprise générale, car le film d’Alejandro González Iñárritu oscille entre comédie, satire et conte fantastique, mais ne ressemble à aucun de ces genres. Cette œuvre peu commune ne plaira pas à ceux qui s’attendent à la formule ; pour les autres, voici un oiseau rare qui distille en somme l’essence du cinéma. Découvrez pourquoi Birdman a gagné (et mérite) ses Oscars.

Birdman, c’est le choc des discours entre l’Art avec un grand A et le divertissement. Une guerre idéologique qui devient particulièrement explicite lors d’une scène au milieu du film, où le personnage principal, Riggan Thomson (Michael Keaton), star hasbeen d’une série de blockbuster intitulée Birdman (pensez Batman avec des plumes) se confronte à la critique de théâtre la plus caustique de Broadway. Thomson, qui s’essaie au théâtre d’auteur avec une pièce de Carver, lui crie : « Je risque tout pour cette pièce, ma santé, mes finances, ma réputation », et l’autre de répondre : « Je vais descendre votre pièce en flammes parce que je hais tout ce que vous incarnez, le divertissement de masse qui fonctionne à la sauce épaisse et au rire gras » (je paraphrase). Voilà, tout est dit. Le reste du film, ce qui vient avant ou après, c’est la tentative de ce monde du divertissement, de la grosse production, où l’ego est à un régime plus calorique que du McDo, de rentrer dans les fines règles de l’Art. Déjà, l’Art, c’est sportif ; ça demande de l’endurance. Là où le cinéma est une performance de sprint, où tout se joue entre « Ça tourne » et le souvent très rapproché « Coupé » du réalisateur, le théâtre est un marathon. Pas de pause, pas de coupure, qu’on soit sur la scène ou en coulisses, l’athlète dramatique n’arrête jamais. Cette réalité est soulignée par la (très remarquée) technique d’Iñárritu de donner au film l’aspect d’une seule longue prise. Et on sent bien que les personnages de vedettes hollywoodiennes dans le film, habituées à un traitement plus coton, n’en mènent pas large. Le seul personnage qui brille d’aisance dans toutes ses apparitions est justement celui du comédien, joué par Edward Norton, génial d’irrévérence et de talent, venu « sauver » la pièce qui menace de s’écrouler sous l’ego de Thomson.

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Ne jamais sous-estimer l’importance des seconds titres

Attention cependant, Iñárritu ne fait pas que critiquer le monde du divertissement, qu’il a dû voir de très près suite au succès de ses films 21 Grams, Babel et Biutiful, pour ne nommer que ceux-là. Au contraire, il en est même reconnaissant. Le second titre du film, The Unexpected Virtue of Ignorance, est à cet égard éloquent. L’ignorance, ici, c’est celle du personnage de Keaton, aussi aveugle à propos des autres –à commencer par son ex-femme et sa fille- que de lui-même : son attitude, son errance, ses failles. Tout cela forme un énorme nuage qui menace de crever au-dessus de sa pièce. Celle-ci est une sorte de cristallisation de son angoisse, et le spectateur ne s’étonne presque pas de voir chaque nouvelle représentation comme sabotée de l’intérieur, à l’image de son metteur en scène.

Mais cette ignorance a ses vertus, nous dit Iñárritu, et c’est là toute toute l’originalité de son propos. Car en effet, ces stars aux ego démesurés, ces productions aux budgets indécents, ce système du divertissement de masse, bref, toute cette machine infernale du cinéma hollywoodien, est aussi une machine qui produit du rêve. C’est le sens qu’il faut donner à la dernière scène du film, où les yeux de la fille de Birdman, fraîchement sortie de rehab (jouée par une Emma Stone juste à point) se soulèvent vers le ciel avec émerveillement. Le film conclue sur ces yeux d’ «enfants», sur l’enchantement que produit toute cette ignorance, cette naïveté propre à l’Amérique, aux pays qui croient encore que tout est possible.

Ainsi, si Birdman a gagné les Oscars cette année –devant d’excellents films comme Boyhood, ou Whiplash (avec lequel il a beaucoup de points communs)- c’est parce que le film, avec un regard juste et tonique, fait l’apologie d’une industrie à contre courant du cynisme ambiant, qui montre exactement pourquoi la fiction est encore et toujours essentielle. Dans les mots d’ouverture du présentateur de la 87e cérémonie des Oscars, Neil Patrick Harris : « Movies may not be real life, but they show us what real life mean. » Birdman colle à la vie, mais s’en détache souvent pour nous emmener vers des hauteurs vertigineuses, là où la réalité et la fiction se ressemblent tant qu’il est presque impossible de les distinguer. Et c’est là que l’émerveillement commence.

Article: Gabrielle Benabdallah

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Gabrielle Benabdallah

Gabrielle écrit pour Querelles, Provender et le Shindig. Elle répond à toutes les questions. @GabrielleJBR

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