Art – Street Art : Les lois de la rue

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Depuis quelques années, le Street Art est devenu l’un des termes les plus fantasmés de nos sociétés actuelles. Le mouvement d’art urbain a conquis un très large public et les festivals s’en donnent à cœur joie pour mettre en valeur les œuvres extérieures. Mais dans cette grande mouvance du Street Art qui s’institutionnalise, l’essence même de la revendication anticonformiste de la rue a été redéfinie, pas forcément pour le plaisir des artistes. Retour sur les codes de l’art urbain à Montréal.

Un regard conventionnel

Masque, colle, papier et spray en main, les graffiteurs et peintres urbains sont de plus en plus nombreux dans les rues. Ils sont célébrés, parfois adulés et en tout cas popularisés. Mais certains ne reconnaissent plus les revendications et valeurs originelles d’un mouvement au passé illégal et anticonformiste. Pour Adrien Fumex, de la galerie Fresh Paint – Underpressure, la popularité du terme Street Art, a rendu la production de l’art urbain commerciale :

« Ce mot n’a plus de sens. L’implication de l’artiste n’est même plus au cœur de la démarche et a perdu son authenticité. C’est plus difficile aujourd’hui pour les artistes eux-mêmes, de questionner la culture dans laquelle ils sont impliqués. Tout le monde veut en faire partie et tout le monde veut s’approprier le mouvement pour être cool et dans la mode du moment, sans rien donner en retour. Ça n’est pas la base du Street Art. C’est un mouvement que l’on a rendu naïf. Depuis qu’il existe, l’art urbain a  toujours questionné sa propre culture, ses codes et son historique. Cette essence s’est perdue dans une tendance sensationnaliste. »

Au fond, bien enfouie dans les cartons de la Street Culture et du graffiti, c’est peut-être la notion originelle d’illégalité qui permet la liberté visuelle et créative des artistes urbains. Aujourd’hui à Montréal, on n’imaginerait même pas retrouver autant d’œuvres illégales persister dans la rue sous le regard rassuré d’un public de 3 à 99 ans – si le passage d’une acceptation publique, populaire et institutionnalisée n’était pas passé par là.

Cette notion d’illégalité est essentielle pour Adrien Fumex. « Les motivations sont plus subversives, elles remettent en question certaines notions occidentales comme celles de propriété ou de place publique. Le graffiti à la base est parti de là, c’était pour tester les limites et les contraintes dans son art. Bref, quand tu le fais de manière illégale, tu redéfinis la pratique par un geste gratuit, dénué d’ambition mercantile. »

Photo Stephanie Allaire © 2014

Zilon Lazer

Alors comme tout mouvement artistique, l’art urbain se redéfinit perpétuellement – que ce soit dans les origines du graffiti, au passage vers le Street Art pour finir par la création contemporaine des murales – Ces réflexions ont fait naitre un nouvel art public tout en saisissant au vol certains aspects du système des galeries. Peut-être un art plus conventionnel, pour un plus large public, et qui peut être vu de tous.

Les artistes sont alors confondus dans une grande case colorée que l’on appelle Street Art, dès l’instant où leur œuvre est installée dans la rue. Art vandale, œuvre commanditée, collage, etc. même combat !

Miss Me qualifie son art de « vomis émotionnels sur les murs ». Elle n’utilise jamais le terme de Street Artist, et ce n’est pas pour rien. Pour elle, « la popularité du terme a gâché ce qu’il était à la base. Moi je n’ai pas envie de faire partie de ce monde-là. Si c’est pour que lorsque les gens me demandent ce que je fais, je dise – du Street Art – et qu’ils répondent – ‘oh woah’ – franchement, ça m’emmerde. Moi, je fais du vandalisme artistique ».

Dans le fond, le terme n’a du sens que pour ceux qui le regardent, mais pas pour les artistes qui ne veulent pas assimiler leur art à une nouvelle case. Pour Miss Me « C’est comme la question de la galerie. Pour l’instant pour moi, ça signifie retourner dans un monde avec des règles, des murs blancs, un format et un public à qui il faut plaire. Je n’ai pas envie, ni qu’on me dise quoi faire, ni de perdre ma liberté artistique. »

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Miss Me

Les codes inhérents de la rue

Chaque tendance apporte son lot de nouveaux adhérents et le Street Art n’y a pas échappé ! On y découvre de nouvelles têtes, de nouvelles créations dans les rues et on y rencontre aussi ceux qui s’essayent, à un moment opportun peut-être, de façon temporaire. Mais ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que, malgré la popularisation du terme, plus grand public, ouvert à tous, moins ‘underground’, les règles, elles, n’ont pas changé. La mode aura beau faire ce qu’elle veut, elle n’enlèvera jamais à la rue ses propres codes inhérents ! Ici, contrairement aux galeries, ce sont les artistes qui définissent leurs propres lois. D’ailleurs, cet art a beau être d’origine vandale, sa première loi officieuse, c’est le respect.

Dazy est un jeune artiste basé à Montréal ; avant de quitter les murs de la rue, il a fait ses débuts dans le graffiti vandale. « Tu prends ton sac, tu mets des bombes et tu t’appropries les murs que tu trouves sympas pour faire ta propre pub. Pour moi, c’est salir un maximum et montrer que c’est toi qui gères le plus. Mon but c’était que mon ‘blaze’ DAZY soit vu par le plus de personnes possible. Mais voilà, si le mur est vierge c’est ce que tu recherches, après si tu peux repasser sur quelqu’un tu le fais, mais attends-toi à avoir des représailles. On appelle ça des guerres de ‘toys’ et ça se passe toujours entre graffiteurs. Par contre, je n’ai jamais tagué une fresque ou une autre œuvre, ceux qui font ça, c’est pour faire chier et là il n’y a plus le respect de la rue. »

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Zilon Lazer est l’un des pionniers de la scène artistique montréalaise. Il a connu les différentes étapes du Street Art, en commençant par des débuts également vandales dès la fin des années 70. Il s’étonne à présent des résonnances de cette nouvelle popularité de la rue chez certains artistes: « A l’époque, pour nous c’était une manière de s’exprimer justement parce que les galeries nous fermaient la porte au nez. Maintenant, avec la nouvelle mode, certains des jeunes artistes investissent les murs de la rue pour se faire connaître oui comme avant, mais ils visent surtout les institutions, et le profit. Ça aussi ça change les règles… Bon c’est sûr et certain que j’ai fait la belle époque, donc mea culpa, je n’ai pas les mains nettes non plus. Ça fait partie du jeu de toujours avoir quelqu’un qui va faire quelque chose par-dessus, on ne va pas aseptiser ça ! Mais la plus grande règle c’est le respect entre artistes, taguer une œuvre qui ne te plait pas, ce n’est pas vandale c’est juste stupide ! Ces zozos n’ont aucun respect, ils se foutent de la gueule de tout le monde et de notre pratique, ils deviennent plus délinquants que le délinquant, c’est un cercle vicieux. Alors oui la rue est généreuse, mais elle est aussi crapuleuse !»

Pour Miss Me, ce ne sont pas tellement des tensions artistiques auxquelles les artistes sont confrontés aujourd’hui, « c’est plutôt que beaucoup de gens qui viennent dans la rue – moi compris, j’ai fait des conneries, mais t’apprends de tes erreurs – Bref,  tu arrives dans un monde et t’as l’impression qu’il est libre. Mais ça n’est pas le cas. C’est un monde qui a déjà ses propres lois et c’est un monde qui est déjà pris. Certaines choses ne changent pas dans le Street Art. Quand des Street Artists décident que le mur est à eux, tu peux faire ce que tu veux sur cette surface, ils vont tout de suite revenir dessus ! C’est pas personnel, enfin peut-être que je suis naïve, mais ce sont les lois de la rue! Sauf que quand c’est un nouveau ou une nouvelle que tu ne connais pas qui passe sur ton œuvre, tu te demandes pourquoi la personne n’a pas graffé à côté et là c’est clair que moi aussi je vais repasser et remettre mon œuvre. On apprend tous à respecter les règles.»

La tendance populaire du Street Art devrait s’éteindre assez rapidement pour laisser place à une nouvelle mode. À ce moment-là, le mouvement urbain pourra trouver de nouveaux enjeux artistiques, et toujours dans les règles ! Les artistes seront capables de tester ces codes pour se les réapproprier de nouveau. C’est l’essence même de l’art, après tout !

 

 

À voir : Out For Fame

L’exposition street art organisée par Underpressure Out For Fame rassemble 35 artistes et collectifs de 5 continents, dès le 30 octobre.

  • Soirée d’ouverture de Out For Fame : 30 Octobre de 18h à 23h
  • Journées d’ouvertures : 30, 31 octobre et 1, 2, 8 et 9 Novembre, de 12h à 19h
  • 4106 rue Wellington (métro De L’Église)

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Panton – Underpressure

Article: Emilie Lamine

Photos: Miss Me, Adrien Fumex, VàVà Vol’s Vavaland (Zilon).

Première photo en encadré: Miss Me

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