Arts visuels – Olivia Boudreau et l’Oscillation du visible: lire une oeuvre par le corps

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Entre visible et ressenti – engager le corps du spectateur

Au sein de notre société actuelle où la femme doit encore à plusieurs niveaux se battre pour prendre position, plusieurs artistes actuelles traitent de la condition féminine via la représentation du corps. Il s’agit en effet d’une thématique récurrente qui a d’ailleurs fait couler beaucoup d’encre. Sans conteste, la question du corps est phare dans l’art contemporain, mais souvent l’histoire de l’art délaisse le corps, et non pas celui de l’artiste ou du représenté: elle oublie l’importance du corps du spectateur. Et pourtant, il est vital de considérer le pouvoir qu’ont les œuvres à susciter des émotions vives chez le spectateur, puisque les expériences esthétiques sollicitent des sensations allant au-delà du quotidien*.

C’est d’ailleurs ce que nous propose Olivia Boudreau, orientant sa pratique artistique tout particulièrement sur la corporalité, avec l’exposition L’oscillation du visible présentée à la Galerie Leonard & Bina Ellen jusqu’au 12 avril 2014. Un retour sur ses créations vidéos et performatives réalisées depuis 2004 fait vivre une expérience sensitive tout particulièrement captivante. Je propose par ce billet de considérer le corps du spectateur à la vue de ces œuvres évocatrices, puisque le « travail [d’Olivia Boudreau] met à l’épreuve non seulement le corps, mais aussi la perception et l’expérience du visiteur »**.

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Par exemple, l’œuvre vidéo Pelages (2007), dont vous pouvez visionner un extrait ici, représente l’artiste elle-même vêtue seulement d’une petite culotte blanche et d’un manteau de fourrure. Vis-à-vis de cette image féminine, en position parfois à quatre pattes ou bien couchée sur le sol, le spectateur est plongé dans l’inconfort. Inconfort dû à une incompréhension de la scène qui, rapidement, devient source de malaise, causé par cette tendance systématique que nous avons de se projeter dans l’autre. Celui qui regarde et s’adonne à l’exercice de contemplation imagine le déplaisir de cette femme: il ressent le froid que doit causer la brise devinée par le frémissement des poils du manteau, peut par projection s’imaginer la sensation du contact de la peau avec le sol frais et la délicatesse de la fourrure. Et ultimement, le spectateur contemple l’absurdité de cette pose, uniquement justifiée par la mise en scène d’un stéréotype féminin consenti par la culture populaire. Le malaise pèse sur la peau du « voyeur » et confronte cette psyché culturelle mise à nue. 

pelages1Ces images vidéos éveillent certains affects et ceux-ci supposent une compréhension de l’œuvre par les sens. Il est en effet possible de présumer que la position du corps dans la vidéo choisie par l’artiste évoque la soumission du genre féminin et l’animalité du corps de la femme, qui est d’ailleurs accentuée par le pelage du vêtement. À la vue de cette création, le spectateur ressent le malaise de cette figure dominée. Il comprend le sentiment d’être perçu comme une bête. Les sensorialités sollicitées par la vidéo Pelages contribuent à une critique de la condition féminine, et font appel à une modification du stéréotype féminin par une scène où l’empathie humaine se déploie. 

Tout au long de l’exposition, le travail artistique d’Olivia Boudreau étonne par la puissance des images qui visent une remise en question de la conception du corps en relation à l’Autre. Boudreau prend plaisir à jouer avec les « barrières sociales » pour réinterpréter l’éthique socialement adoptée et ainsi catalyser la réflexion. L’artiste défait les limites sociales habituelles en nous amenant sur le plan sensitif dans la sphère intime du corps. Afin de pleinement vivre cette exposition, il faut ressentir le propos de Boudreau par le corps, laisser sa propre corporéité devenir organe récepteur. Y sont aussi présentées les deux dernières œuvres crées par Boudreau, Lying Bodies, Standing Bodies (2014), activées par deux performeurs, et la projection vidéo Femme allongée (2014). Il sera alors possible de constater la puissance des images non pas seulement sur le plan visuel, mais aussi tactile, auditif, gustatif, odorant, postural et bien plus encore!

Galerie Leonard & Bina Ellen

1400 Boul. De Maisonneuve Ouest LB-165 (galerie de l’université Concordia)

Olivia Boudreau, L’oscillation du visible : du 13 février au 12 avril 2014

Commissaire : Michèle Thériault

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Article: Laurence Garneau

Images: Olivia Boudreau, Femme allongée, 2014, vidéo hd, couleur, son, 13 min 15 sec / HD video, colour, sound, 13 min. 15 sec. Gracieuseté de l’artiste.


* Jocelyne Lupien s’interroge sur les interdits sociétaires et évalue comment les perceptions sensorielles sont « déverrouillées » grâce à l’art. Les œuvres catalysent des « polysensorialités » chez le spectateur, qu’elles soient visuelles, auditives, olfactives, algiques, gustatives, kinesthésiques ou posturales.

Si cette question vous intéresse, consulter cet article: Jocelyne Lupien, « L’intelligibilité du monde par l’art », dans Espaces perçus, territoires imagés (ouvrage collectif), Paris, Éditions L’Harmattan, 2004, p. 189 p.

** « L’oscillation du visible », Communiqué de Presse, Galerie Léonard & Bina Ellen, 2014

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