Cinéma -Dallas Buyers Club : Coup de maître québécois made in Hollywood
Nous avons eu la chance lundi dernier d’assister à la première québécoise du nouveau film de Jean-Marc Vallée, Dallas Buyers Club. Voici nos impressions sur le film qui sort en salle aujourd’hui le 1er novembre!
Nous sommes en 1986, en pleine crise du sida. Ron Woodroof (Matthew McConaughey), électricien et cowboy de rodéo à ses heures mène une vie excentrique et débauchée à Dallas, Texas. Sa vie est pourtant chamboulée lorsqu’il apprend après des tests sanguins qu’il est porteur du VIH et que les médecins ne lui donnent pas plus de 30 jours à vivre. S’amorce alors pour Woodroof un combat certes pour la vie, mais surtout pour défaire les préjugés face à cette maladie méconnue à l’époque et, surtout, pour transformer un système de santé inadéquat et trop engoncé dans ses méthodes procédurales interminables. Car du temps, les gens atteints du VIH dans les années 1980 n’en ont pas. Ce nouveau film de Jean-Marc Vallée est d’abord et avant tout un hommage au personnage plus grand que nature qu’était le véritable Ron Woodroof, de la vie duquel le film est inspiré. La distribution du film est complétée par l’acteur et musicien Jared Leto (Requiem for a Dream) dans le rôle du transsexuel Rayon et la délicate Jennifer Garner (13 Going On 30, Juno) dans le rôle de la docteure Eve Saks qui deviendra une amie et un grand soutien moral pour Ron et Rayon.
Le réalisateur, Jean-Marc Vallée, cinéaste bien de chez nous qui nous avait offert en 2005 le splendide C.R.A.Z.Y. puis son très beau Café de Flore en 2011, ne déroge pas à son style ou à son esthétique avec Dallas Buyers Club. Il s’agit encore une fois d’un film centré sur ses personnages et dont l’intrigue et l’humour sont portés par des jeux d’acteurs tout à fait au point de même qu’une réalisation en finesse.
LE PUBLIC CIBLE
Dallas Buyers Club est un de ces films qui gagne à être vu par tout le monde. D’une part, il s’agit d’un film extrêmement bien exécuté qui a de quoi plaire à un vaste public – humour et drame s’y mêlent harmonieusement; d’autre part, le sujet du système de santé et de son inefficacité est d’actualité (pensons aux divers problèmes qui paralysent le système de santé québécois ou encore à la crise liée à «Obamacare» aux États-Unis !).
La réalisation de Jean-Marc Vallée est très bien ficelée. Un soin est toujours mis dans le placement de la caméra et à la symétrie des plans, dont l’esthétique rappelle fortement C.R.A.Z.Y. Le film s’ouvre et se ferme sur une scène de rodéo qui apparaît comme une sorte métaphore des enjeux beaucoup plus grands du film. Tenir sur un taureau de rodéo pendant 8 secondes pour sa propre fierté et pour gagner des paris devient ainsi un symbole du combat de Woodroof contre l’administration gouvernementale du système de santé. Woodroof ne se laisse ainsi
pas «désarçonner» par sa situation des plus précaires, et il est très cathartique pour le public de voir le personnage se battre aussi farouchement contre son sort. Sa rébellion face à des règlementations ridicules nous procure un grand plaisir et nous donne le goût, carrément, de faire des mauvais coups.
Ce qui est le plus impressionnant du film de Vallée est sans aucun doute la facilité avec laquelle il semble jongler avec un sujet aussi sérieux que le sida. Alors que le film aurait aisément pu sombrer dans la lourdeur et le pathos, Vallée nous offre plutôt une œuvre très équilibrée non seulement dans sa composition, mais aussi dans ses thèmes. Le texte est très drôle, provocant des fous rires aux moments les plus désarmants et rendant les personnages extrêmement attachants. S’ajoute à cela cette touche québécoise qui évacue au maximum le cliché et qui accorde une grande confiance au public, touche qu’on retrouvait notamment dans le dernier film américain réalisé par un québécois, Prisoners de Denis Villeneuve, sorti au début de l’automne.
Le produit final est un film dont on se souviendra longtemps et qui nous a semblé capital, car on oublie trop souvent que le combat dans lequel s’est engagé Woodroof pour trouver un remède au sida est loin d’être terminé encore à ce jour.
La relation entre Rayon (Jared Leto) et Ron Woodroof (Matthew McConaughey) est sans doute la plus amusante et touchante du film. Pour Woodroof, homme macho et homophobe, le fait de se retrouver dans la même situation que l’excentrique transsexuel Rayon est inconcevable : ils appartiennent à deux mondes différents, deux mondes opposés par les préjugés et par la méconnaissance. Cependant, tous deux atteints du VIH puis du sida, ils vont faire front commun face à la FDA (Food and Drug Administration) afin de survivre, développant en cours de route une grande et forte amitié que le film dépeint avec énormément d’humour.
Matthew – De hunk hollywoodien à cowboy marginal
Mais ce qui fera de ce film une oeuvre mémorable, c’est irrévocablement le personnage grandiose que nous offre Matthew McConaughey. Car sa performance est inoubliable. Le rôle a été extrêmement demandant pour l’acteur presque méconnaissable dans le film : il a en effet perdu près de 40 livres pour incarner avec crédibilité un sidéen. Cependant, McConaughey ne se laisse pas distraire de son rôle par son physique émacié, tellement à l’opposé de son image habituelle de hunk hollywoodien. Ne se servant j’aimais de son corps transformé comme une béquille à son jeu, il nous offre un point de vue très intime sur le combat d’un homme à la fois vulnérable et pourtant, semble-t-il, indestructible.
L’impressionnante réorientation de carrière de McConaughey est des plus intéressantes et uniques à Hollywood : depuis 2010, McConaughey, qu’on retrouvait souvent dans des comédies romantiques légères et trop souvent fades, s’est tourné tranquillement vers un cinéma plus indépendant en se joignant à la distribution entre autres de Killer Joe (2012), The Paperboy (2012) et le très acclamé Mud (2012), trois films dans lesquels il a incarné des personnages marginaux, excentriques et fascinants. Son rôle dans Dallas Buyers Club s’inscrit dans cette même lignée; on anticipe déjà sa performance dans la prometteuse télésérie de HBO, True Detective à venir en 2014.
NOTRE VERDICT À voir et revoir absolument. 4/5 Le film sort en salle aujourd’hui, 1er novembre, à Montréal et Toronto, et dans le reste du Canada le 22 novembre. Article: Anne-Sophie Létourneau-Hudon